En 1989, le Tram détrône le projet de Métro à Strasbourg

28 août 2019

J’ai pu t’en parler dans un précédent article un métro automatique (Métro-VAL), a pu être imaginé à Strasbourg dans les années 80. Tout était en place pour réaliser la 1ère ligne : plans, études, plannings … sauf que patatra, le projet est abandonné en 1989. Game of Trams, épisode 2 !

Dans cette seconde partie, je souhaite revenir sur l’opposition qui s’était créée à l’époque entre deux projets aux visions radicalement différentes, dont la finalité a changé l’image actuelle de Strasbourg (sans rentrer dans les détails politiques).

J’en profite aussi pour observer comment ont pu évoluer les transports en commun de nos villes voisines et parler des projets en développement à Strasbourg et alentours.

Si tu souhaites avoir un historique complet et en savoir plus sur le Métro automatique de Strasbourg, je t’invite vivement à lire le premier article.
J’ai fait le choix de le diviser en deux parties, pour garantir une lecture plus agréable, surtout sur mobile (et aussi un peu pour le référencement :)).

Comment le tramway a-t-il remplacé le Métro-VAL en 1989 ?

Le tram s’immisce dans les élections municipales

Depuis 1985, une opposition s’est créée autour du projet de Métro-VAL (Métro à Véhicule Automatique Léger), des piétons et associations préférant le projet de Métro-Léger ou Semi-Métro (très largement surnommé Tramway). L’argument du coût est en première ligne de mire : 2x plus économique que le Métro-VAL, il permet de réaliser 2x plus de ligne.

Le sujet sera au cœur des élections municipales de 1989 : Marcel Rudloff – Maire sortant – et son projet de Métro automatique ; Catherine Trautmann et un projet de Tramway moderne en tunnel court, pour rendre le centre-ville piéton.

Comparatif entre l’espace occupé par la voiture, le bus et le tram, 20 août 1989

Comparatif entre l’espace occupé par la voiture, le bus et le tram, 20 août 1989

L’opposition voiture/métro vs. piéton/tramway

Un grand fossé se creuse entre les partisans du Métro-VAL et du Tramway.
Les uns annoncent la mort du centre-ville, les autres avancent des coûts de construction plus abordables.

Avec une Grande-Île piétonne, les commerçants pensent voir leur clientèle disparaître pour les centres commerciaux de périphérie. D’autres craignent aussi qu’un tramway donne une image désuète de Strasbourg, par rapport à un Métro Automatique.
Pour rappel, à la fin des années 80 des villes comme Lille et Toulouse s’équipent progressivement en Métro Automatique. Une solution plus rapide, plus fiable et plus moderne qu’un tramway, qui à cette époque a une image désuète.

Avec 42,69 % au second tour, Catherine Trautmann accède en ballotage à la Mairie de Strasbourg en 1989. Cette victoire signe l’abandon définitif du projet de Métro et la décision de construire une première ligne de tramway, qui rendra à ses piétons le centre-ville de Strasbourg.

Simulation du Tram rue des Francs-Bourgeois, 1991

Simulation du Tram rue des Francs-Bourgeois, 1991 (illustration Pierre Zanutti, Puissance 3)

Les vestiges du Métro, dans le réseau Tram actuel

Le projet de tramway s’est largement appuyé sur les précédentes études menées auparavant. Construit en quelques années seulement (1989 – 1994), il est normal que l’on y retrouve de larges similitudes.

Le tunnel et son unique station, Gare Centrale

Souviens toi du précédent article : les premières études d’un Métro-Léger envisageaient 4 options de tunnels, dont 1 option courte avec une station sous la Gare-Centrale.
Le tunnel sous la Gare est tout droit issu de la configuration en tunnel court, du projet de Métro Léger.

Le projet de Métro-VAL aussi, devait passer sous la Gare-Centrale, pour relier Rotonde à Kléber.

Strasbourg percement tunnel sous Gare Jean-Daniel Lohner

Percement du tunnel sous la Gare de Strasbourg – Photo : Jean-Daniel Lohner

Les lignes A, B & C, empruntent (presque) le tracé du Métro

Il suffit de regarder le tracé des lignes des deux projets et de les superposer avec le réseau existant, pour se rendre compte de curieuses similitudes.

La ligne A relie Cronenbourg à Illkirch, comme ce devait être le cas pour la ligne 1 du Métro-VAL et du Métro Léger.
La ligne B, sur sa branche nord, relie le centre de Strasbourg à Schlitigheim, puis Hœnhiem. C’était également le cas pour le Métro-VAL et le Métro Léger.
Enfin, la ligne C relie aujourd’hui le Neuhof, comme proposé avec le Métro-Léger.

Voici un comparatif permettant de se plonger dans ce qu’aurait pu être le réseau en septembre 2000. Cette date représente la mise en service de la 2è phase du tramway de Strasbourg.
Le Métro VAL devait également être réalisé en 2 phases, selon le même calendrier.
Septembre 2000 correspond aussi au périmètre des études réalisées dans les années 80.

Le tracé du Métro-VAL a été trouvé sur l’étude d’impact du projet, datant de mai 1988.

Tu remarqueras que le réseau de Tram est plus vaste que le métro. Cette différence de taille de réseau est liée au coût de construction, plus abordable pour le Tramway. Le revers de la médaille, ce sont des coûts d’entretien plus élevés avec le tramway.

Mais le tram en surface à dû s’adapter à différentes contraintes

Quelques détails ont été sacrifiés, du fait de la nécessaire insertion dans le réseau routier. Ainsi, là où le métro devait passer par Neudorf-Marché puis en plein centre de la Meinau, le tramway circule aujourd’hui sur la large Avenue de Colmar.

Ci-dessous, un comparatif entre le tracé actuel du tramway (à gauche) et celui du métro (à droite) avec l’emplacement et le nom des stations. Je note en revanche l’absence de connexion directe avec la ligne TER, comme le propose le Tram aujourd’hui à la station Krimmeri – Stade de la Meinau.

Comparatif entre le tracé actuel du tramway (à gauche) et celui du métro (à droite)

Pour l’extension du Tram C, la desserte de Neudorf-Marché est remise sur la table, mais l’opposition des commerçants et l’alternance politique ont eu raison de ce projet. Comme une impression de déjà vu …

Pour Schiltigheim, le tracé du Tram B emprunte l’Avenue Pierre Mendès-France, bien plus large, faisant ainsi un détour par rapport au tracé originellement proposé sous la Route de Bischwiller.

Sur l’image ci-dessous : le tracé du métro se trouve à gauche. Celui du tram, à droite (oui, avec un Métro on aurait pu avoir une station appelée « Bitche »).

Comparatif entre le tracé actuel du tramway (à droite) et celui du métro (à gauche)

 

30 ans après, un réseau souterrain est-il possible à Strasbourg ?

Dès sa mise en service fin 1994, le tramway strasbourgeois est victime de son succès avec une fréquentation plus forte que les prévisions. Pour pallier à ce sous-dimensionnement, la ligne D est inaugurée en 1998 et vient renforcer la fréquence en centre ville.

Vitesse commerciale moyenne Tram Strasbourg

Évolution de la vitesse commerciale moyenne du tramway de Strasbourg

Mais depuis la mise en service des lignes B & C en 2000 et la création d’un nœud à Homme de Fer, la vitesse commerciale sur le réseau tram n’a cessé de baisser, jusqu’à 19 km/h. Cela affecte le temps de trajet qui s’en retrouve rallongé.

Au centre ville, les trams roulent à 12 km/h en moyenne

La baisse de vitesse commerciale est liée à plusieurs facteurs : le tunnel sous la Gare permettait de faire fortement augmenter la moyenne. L’arrivée de nouvelles lignes en surface la fait donc baisser et en centre-ville, le tramway roule lentement du fait de la densification (12 km/h en moyenne).

Enfin, la forte fréquentation des rames rallonge les temps de montée/descente et donc le temps d’arrêt en station (coucou les gens voulant absolument monter dans le tram, bousculant les usagers souhaitant sortir).

5 lignes de tram sur les 6, passent par le centre-ville. Cela contribue donc à une baisse progressive de la vitesse sur le réseau. Ce qui est dommageable pour les usagers souhaitant se rendre d’un quartier à l’autre et qui ont l’obligation de passer par Homme-de-Fer.

Creuser un tunnel ? Mais il y a la nappe phréatique !

Aujourd’hui, le projet de métro ou de ligne souterraine ne sont évoqués nulle part. Sauf sur les forums de fans d’urbanisme ou de transports en commun. Même 30 ans après.
Officiellement, il y a le coût très élevé (l’impossible financement de 130m de souterrain sous la Gare-Centrale, ont eu raison de l’abandon du projet de tram-train), mais aussi la nappe phréatique qui pourrait s’infiltrer dans le tunnel.

Les défenseurs de la solution souterraine mettent en avant les arguments suivants : un tunnel passe bien à 17m sous la Gare de Strasbourg. De plus, dans les années 80, des études proposaient de faire traverser tout ou partie du centre-ville, via un tunnel de 10 à 20m de profondeur.
Ci-dessous, un extrait d’une étude datant de 1988, avec le tracé et la profondeur du tunnel en centre-ville.

1987 coupe Metro VAL consultation avant DUP

Tracé du Métro-VAL en centre-ville de Strasbourg et plan de coupe montrant la profondeur des galeries.
Extrait de la consultation avant DUP, CUS, 1988

Le modèle du tout tram est-il à bout de souffle ?

Il est très intéressant de constater que Strasbourg s’est enfermée dans un choix du tout-tramway : une bonne idée, qui a pu libérer de l’espace piéton en centre-ville et voir le nombre d’automobiles baisser.

Mais depuis sa mise en service, le réseau connaît des saturations. La complémentarité, possible avec le TER, reste faible malgré la présence de 14 autres gares dans l’Eurométropole & Kehl. Seules 3 gares sont desservies par le tram, mais une faible fréquence des TER, la complexité tarifaire et la nécessité de récupérer une contremarque pour les abonnés, sont autant d’éléments décourageants la multimodalité.

En parallèle, la fréquentation continue d’augmenter et doit répondre aux besoins de pouvoir accéder à un réseau performant, dès la 1ère couronne strasbourgeoise. Le tram est une bonne solution en hypercentre, mais la voiture redevient reine en périphérie. En 2012 dans l’Eurométropole, 73% des déplacements inférieurs à 3 kilomètre se faisaient en voiture.

L’accès à la périphérie devient un point clé de développement des villes de tailles similaires à Strasbourg.
Bordeaux, qui a aussi privilégié le tram au VAL, ressort actuellement le projet de métro des cartons, pour faire face aux mêmes défis.

D’ailleurs, où en sont aujourd’hui nos voisines rhénanes, dont j’avais pu parler dans le premier article ? Elles sont confrontées aux mêmes enjeux de saturation et de hausse des usagers. Pour y faire face, certaines passent en souterrain, d’autres construisent de nouvelles lignes TER plus performantes :

Karlsruhe fait passer une partie de son réseau tram en souterrain, tout en conservant les espaces piétons

Karlsruhe (308.000 habitants) dispose de 7 lignes de tramway, pour un réseau de 68km.

  • Le réseau est complété par des tram-trains sillonnant la région et parcourant le centre-ville, également saturé de tramways comme à Strasbourg.
  • En 2020, le réseau centre-ville du tram-train sera souterrain pour 7 stations, tout en conservant la philosophie piétonne en surface.
  • Karlsruhe fait donc le choix d’un réseau souterrain pour ses trains permettant de gagner la périphérie, en conservant les tramway en surface.
Karlsruhe Kombiloesung

Coupe en 3D d’une station souterraine à Karlsruhe

Freiburg a un réseau de tramway similaire à Strasbourg, complété par les TER

Freiburg (228.000 habitants) dispose de 5 lignes de tramway pour un réseau de 41,5km et son centre-ville est piéton. La configuration est très similaire à Strasbourg.

  • Là-bas, le réseau tram fonctionne également de nuit, en fin de semaine.
  • Le réseau de TER fonctionne tard le soir, jusqu’à 1h du matin en fin de semaine et les correspondances sont possibles avec le tram.
  • En revanche, il n’y a pas de volonté de faire passer le réseau en souterrain, celui-ci étant moins saturé avec une bonne offre TER.
Freiburg-im-Breisgau

Le Tramway de Freiburg, qui a toujours été en activité

À Bâle, le tram est complémentaire avec le réseau de TER trinational

Bâle (171.000 habitants) offre 13 lignes de tramway sur 73,8km, 3 lignes traversent la frontière. Le réseau offre une belle complémentarité avec les Gares de TER.

  • Les problématiques de saturation et d’accès à la périphérie sont identiques et amplifiées par la dimension frontalière.
  • Pour 2030, la ville imagine de revoir son système de trains régionaux, avec 2 (voir 3) nouvelles gares souterraines et un tunnel sous le Rhin.
  • Bâle souhaite ainsi se doter d’un RER complet et souterrain pour traverser le centre-ville, sur le même modèle que Paris (en plus court).
projet RER souterrain Bâle

En rouge, les nouvelles voies souterraines à construire à Bâle, pour 2030

Strasbourg étudie son REM, pour 2030

À Strasbourg (278.000 habitants), la complémentarité avec les 6 lignes de tram et ses 69km est évoquée depuis des décennies, mais commence à se dessiner avec l’élaboration du Réseau Express Métropolitain pour 2030.

  • Sur la branche nord, une 4è voie est en construction.
  • Sur la branche ouest vers Molsheim, les trains sont cadencés à un toutes les 10min en heure de pointe, depuis 2007.
  • En 2030, 3 nouvelles haltes ferroviaires pourraient être habilitées au public (Ostwald, Port du Rhin et Hausbergen).
  • 2 nouvelles lignes de train pourraient apparaître : Mommenheim – Erstein & Haguenau – Port du Rhin. Elles permettront un trajet nord-sud, en restant dans le même train.
2019 REM Strasbourg 2030

Le possible REM, étudié actuellement (document Eurométropole) à Strasbourg


Finalement le Métro automatique, c’est une idée du passé ?

On peut penser que le Métro-VAL est un projet mort dans les années 90. Sauf qu’en 2007, l’aéroport Charles-de-Gaulle a mis en place le CDGVAL pour la desserte de ses terminaux.
En 2002, Rennes inaugure sa 1ère ligne de Métro-VAL et ouvrira à l’automne 2020 une seconde ligne VAL !

Lorsque l’on voit ce qu’il se passe chez nos proches voisines et au regard des augmentations de fréquentation, on est en droit de se demander si l’idée de faire passer un tunnel en centre-ville mérite d’être creusée (#jeudemots), tout en conservant le caractère piéton du centre.

Merci d’avoir pris le temps de lire cet article !

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Pour aller plus loin :

Pour poursuivre la lecture, voici quelques sources que j’ai pu consulter, pour constituer ces deux articles.

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Il parait que l’on connait parfois mieux le bout du monde, que ses proches alentours !

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Bon, ok, parfois je vais un peu plus loin ... mais toujours en train depuis Strasbourg
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